L’appel d’une éleveuse, c’est le titre de ce très beau livre écrit à deux plumes (ou quatre mains) par Clément OSE et de Noémie CALAIS intitulé « Plutôt nourrir » aux éditions Tana. Noémie et Clément sont diplômés de Sciences Po. Jeunes diplômés ils courent le monde et embrassent les prémices d’une carrière professionnelle active au service de la finance et des puissants. Mais pour Noémie, un problème de santé l’oblige à ralentir et à prendre une toute autre trajectoire. La paysannerie l’attire : elle bifurque. Elle s’engage dans un petit élevage de cochons noirs dans le Gers. Clément de son côté s’interroge sur le sens de la vie. Il aime le contact avec les agriculteurs et participe aux travaux dans une ferme collective. Doté d’un goût prononcé pour l’écriture, il aime révéler à travers ses mots (et ses magnifiques photos), le monde de l’agriculture, ses hommes et ses femmes, ses maux et ses solutions à travers des réponses « joyeuses » aux effondrements sociaux et écologiques qui minent pourtant nos existences.
De l’idéal …
Noémie est une jeune femme solide, organisée et brillante. Lorsqu’elle décide de se lancer dans l’élevage, c’est un projet construit et réfléchi qu’elle élabore. Il lui faut trouver un lieu, des animaux, construire son lieu de vie, trouver des débouchées à ses produits. Elle part d’une feuille vierge et durant plus d’un an elle mûrit son projet. Elle se forme. L’investissement financier est lourd mais jeunesse aidant, elle se lance.
Elle construit son activité agricole dans le Gers. Un grand hameau qui accueillait une importante exploitation porcine devient son point de chute. Ce lieu est en pleine reconversion. D’autres comme Noémie trouvent ici le support à leurs activités : s’installent autour de Noémie, du maraichage, de la fabrication de fromages, un brasseur, … Tous ici partagent l’envie d’indépendance, d’un modèle simple alliant respect du vivant et relation riche et directe avec les clients par des produits de grande qualité (le “bien manger” et son importance déjà évoqué dans ce billet) et accessibles financièrement. Il règne aux Bourdets, une belle solidarité. L’ancienne exploitante Catherine observe, aide, conseille ce petit monde. Dans ce petit bout de France, « ça refleurit, ça refleurit différemment mais ça refleurit ».
« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».
Proverbe Africain
… aux difficultés.
Mais la vie de Noémie est bien loin du conte de fée que les néo-ruraux veulent bien tenter d’ imposer en plaquant une vie citadine et/ou de “cadre sup” pour le métier d’agriculteur. Le boulot est dur et physique, les aléas sont nombreux et les rentrées financières faibles. Au fil des pages, le lecteur est frappé par l’accumulation des épreuves qui frappent la jeune femme.
Passionnée par l’amour de ses animaux, de l’élevage et du soin à ces derniers, Noémie assure également toutes les étapes de transformation après l’abattage allant jusqu’à la vente directement sur les marchés de ses viandes, terrines, bocaux, … Autant dire qu’il en faut de l’énergie pour mener tout ceci de front. Mais avec une dizaine de bêtes, la seule solution est la maitrise totale de toutes ces étapes pour pouvoir tenter de se « sortir » un salaire et rembourser l’investissement du départ. Le banquier n’est jamais très loin …
Au fil du temps, les épreuves s’enchainent, des questions se posent et il faut trouver les solutions et sans cesse rebondir. Le lecteur se trouve lui immergé dans les joies et les peines de cette agricultrice. Je suis admiratif devant la ténacité de cette jeune femme et part sa forte clairvoyance. Noémie n’est pas isolée comme malheureusement de trop nombreux·se agriculteur·rice. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sur ce blog la triste fatalité du suicide paysan. Mais la force du collectif, la présence de sa famille et de Clément l’aide à tenir et à tracer sa route, son chemin de vie, à garder le cap et surtout la tête “hors de l’eau”.
Des questions multiples …
La richesse de ce livre résonne également dans les questionnements ouverts au fil des pages et les réponses conjointes apportées par Noémie et Clément. Ce dernier interroge d’un point de vue théorique et Noémie répond d’un point de vue pratique. Quel duo intéressant. Tour à tour l’ouvrage évoque des sujets d’importance comme la place de la viande dans l’alimentation (sujet o-combien polémique, clivant et d’actualité), les notions de solidarité et d’isolement du monde paysan, l’enjeu de la propriété foncière (merci le modèle Terre de Liens qui apparait ici comme une évidence), la souffrance animale et l’abattage, mais également la relation avec la clientèle, avec le « bien manger » et le « bien consommer ». J‘avoue avoir été passionné par les réponses apportées au fil des pages de “Plutôt nourrir”.
A titre personnel, j’estime avoir également appris beaucoup de la lecture de ce livre en particulier sur la relation intime et forte que l’éleveur développe avec ses animaux.
Noémie est une femme débout qui force l’admiration. Elle et ses ami.es du Gers nous montrent le champ du possible : Qu’il est possible de concilier agriculture et élevage, préservation du paysage, bien être animal, produits de qualité et surtout activité épanouissante.
Ce livre ouvre un regard différent sur la relation que nous « consommateurs » devrions avoir auprès de ces petit.es producteurs·rices que l’on peut croiser sur nos marchés, dans nos « localeries », magasins bio ou tout simplement au détour des chemins de campagne. « Plutôt nourrir » est un livre qui ne peut laisser, ni indifférent ni indemne et qui pousse à la réflexion mais également au changement ! L’évidence de l’importance du soutien à apporter à celleux qui choisissent ce chemin doit s’imposer dans notre vie de consommateur.
Merci à Noémie CALAIS, pour sa contribution au monde. Merci à elle d’être une sorte de « hussarde » qui nous montre une des voies vertueuses à suivre.
1 commentaire
Merci Régis de relayer par tes lectures puis tes posts toutes ces actions positives qui méritent d’être connues. Ces personnes montrent qu’il est possible de faire autrement et mieux que ce nous impose notre société consumériste et productiviste.