Quelques mots à la suite de lecture du magnifique album de bande dessinée de la scénariste Céline GANDNER, de Marie JAFFREDO dessinatrice et de Marie-France BARRIER qui a réalisé un tour de france allant à la rencontre d’agriculteurs « en rupture » avec les logiques à court terme du modèle de l’agro-industrie. Cet album est intitulé « Paysans, le champ des possibles » a été publié aux éditions Steinkis. Je vous avoue avoir été particulièrement touché par cet album.
L’agriculture d’antant …
Mes racines maternelles sont agricoles. Mon arrière grand-père cultivait, mon grand-père a pris naturellement la suite dans un village proche de Besançon. Ce dernier est né en 1914. L’amour de la terre, des animaux et du travail bien fait au grand air le conduise à devenir paysan. Aidé par ma grand-mère, ils enchainaient toute l’année une vie dure et laborieuse, organisée par le rythme des saisons qui s’enchainaient et celui de la douzaine de vaches laitières qui composaient le troupeau de leur petite ferme.
A l’époque l’on ne parlait pas encore d’ « exploitation agricole », mais de ferme. Les journées étaient bien remplies pour le couple. Les bêtes n’attendent pas, la météo et les saisons non plus. Il faut bien s’adapter continuellement et faire le boulot. Un cheval nommé « bijou » aide le couple dans la dureté du travail des champs comme les foins, les regains. Pas de botteleuse à l’époque, le foin est retourné à la fourche, et chargé sur la remorque en vrac, bien sec, puis monté à la main dans le large grenier de l’habitation familiale. Il faudra attendre les années 1968 pour voir arriver un tracteur d’occasion américain de marque « Pony » acheté chez le marchand de matériel agricole à Montfaucon. Ces tracteurs investissent depuis les années 50 progressivement les fermes française pour remplacer peu à peu la traction animale. La traite du cheptel de la ferme était réalisée manuellement.
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Les deux filles du foyer familiale sont également régulièrement mise à contribution pour aider le couple dans les travaux des champs. La ferme familiale permet de faire vivre la famille. Le lait d’une excellente qualité est vendu à l’UAC, Union Agricole Comtoise dont la laiterie est localisée Rue d’Isenbart puis quartier Velotte à Besançon. C’est la source de revenu essentielle de la famille. La surface de terrain mobilisé pour faire fonctionner la ferme familiale est de l’ordre d’une petite dizaine d’hectare. Cette ferme, comme il en existe des milliers en France permettra de faire vivre dignement et simplement une famille du travail réalisé avec soin et amour.
Mais que s’est il passé ?
En quelques décennies, l’agriculture française s’est fortement mécanisée. Le recours à la chimie (pesticides, herbicides, engrais, …) est devenu le modèle majoritaire. Il faut produire pour répondre aux besoins de l’agro-industrie. Cette dernière organise progressivement un système complet dont il est bien difficile pour l’agriculteur de sortir. Des entreprises prospèrent autour des paysans. Ce sont les mêmes qui leurs vendent tracteurs et machines agricoles, bâtiments d’exploitations, engrais, désherbants et qui achètent leurs récoltes sur le base de cours de matière premières globalisées. L’Europe avec sa PAC et le syndicat majoritaire finance pour le premier et pousse ce modèle industriel sur tout le territoire. Le consommateur paye le prix fort ces produits, mais les agriculteurs qui à la base produisent les matières premières nécessaires sont eux de plus en plus pauvres. Les marges confortables se retrouvent dans les comptes des grandes multinationales.

Depuis bien trop longtemps l’on évoque un malaise du monde agricole dans une sorte d’indifférence générale ou de fatalité. Les fermes sont en faillites. Les paysans endettés n’arrivent plus à vivre honorablement du fruit de leur travail. De nombreux territoires se retrouvent confrontés aux suicides d’agriculteurs. Les fermes disparaissent à un rythme soutenu et inquiétant. La qualité des produits est en baisse. L’usage intensif des terres, gavées de produits chimiques, détruit les sols, la biodiversité s’éteint. Les paysans empoisonnés découvrent des maladies professionnelles et de véritables scandales sanitaires.
Une concentration, à marche forcée s’organise petit à petit dans le secteur. Nous avons perdus plus de 100 000 fermes en 10 ans en France. Depuis les années 2010, 200 fermes disparaissent chaque semaine en France dans l’indifférence générale. Alors que la surface agricole totale décroît, la surface moyenne par ferme n’a cessé d’augmenter. Un nouveau cycle de concentration est à l’œuvre, qui conduit inexorablement à faire grimper le prix de l’hectare, verrouillant de fait l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs désireux de se lancer dans le métier. La terre et son accès devient l’enjeu central.
La SAFER qui devait réguler le foncier agricole, est réformée par la baisse de son financement d’état et doit se financer comme une agence immobilière directement intéressée par des commissions sur le prix des ventes. Elle favorise donc les grands groupes et les multinationales en leurs proposant de la terre agricole vendues très chères. Cela lui fait des bonnes commissions. Ceci se fait au détriment d’une aide à l’installation pourtant nécessaire pour les jeunes agriculteurs qui n’épousent pas le modèle d’une agriculture productiviste.
Start-up Nation …
Petit à petit avec la mécanisation forcée, l’informatique, les algorithmes, l’agriculteur perd le fil de son métier et son rapport à la terre, au vivant. Le modèle idéal que l’on cherche à nous vendre est celui d’un technicien agricole qui campe derrière son écran, utilise des technologies avancées, de la robotisation pour produire toujours plus avec toujours plus de dépendances techniques et financières.
Si rien ne change, nous assisterons sûrement dans quelques années à la fin de l’autonomie entrepreneuriale des agriculteurs. Ces derniers risquent fortement de devenir des salariés exécutants pour le compte de grands groupes mondialisés. Ils seront mis en concurrence avec d’autres dans l’économie mondialisée.
L’on assiste à l’effondrement et à l’aveuglement d’un système qui nous conduit tous dans le mur ! L’agriculture est pourtant un héritage culturel qui fait la France ! Avons-nous vu venir les conséquences dramatiques des choix d’un agriculture productiviste opérés il y a plusieurs décennies ? Il nous faut agir et nous battre, ne serait ce que par respect pour nos ancêtres.
Réactions …
Marie-France BARRIER décide de partir pour un tour de France. Ce dernier va la conduire dans nos provinces et nos campagnes, sur ces petites routes qui maillent notre pays. Dans la Marne, sur le plateau de Larzac, au Pays-Basque, Marie-France choisi d’aller à la rencontre de ces agriculteurs qui sont en rupture avec la logique court-termiste de ce modèle productiviste qui empoisonne les hommes et l’environnement. Elle rencontre celles et ceux qui font un bon usage de la terre. Avec pour objectif de mettre en valeur celles et ceux qui choisissent une autre voie : celle d’un rapport fondamentalement différent, car respectueux du vivant. La richesse des rencontres, des expériences, des témoignages constituent une solide base pour envisager une autre agriculture, pour dépasser ce modèle qui nous détruit tous.

Nous découvrirons tour à tour, au fil des rencontres et des pages de l’album, des céréaliers, des exploitants forestiers, des vignerons, … Ces hommes et ces femmes choisiront des voies bien différentes de celles enseignées.


Nous rencontrerons aussi des personnes brisées par le système agricole productiviste mais qui trouvèrent dans l’adversité une formidable capacité de rebondir et d’aller vers le changement, pas forcément pour gagner plus, mais pour perdre moins. Tous portent en eux, l’amour de leur métier, la conscience du rôle fondamentale de bien nourrir le monde et de respecter le vivant.

Cette balade dessinée aux traits simples, efficace, véridique va être l’occasion de mettre en valeur des parcours de vie étonnants et particulièrement touchants. Ces hommes et ces femmes exemplaires doivent nous inspirer pour aller vers le mieux. Ils portent en eux, la radicalité d’un changement nécessaire, et surtout une grande partie de la réponse aux maux qui touchent le monde agricole donc notre société.
Pour conclure …
J’ai trouvé cet album passionnant et tellement émouvant. Je repense à mes aïeux, à leurs vies, à leur amour du vivant et de la nature, à leur fierté d’exercer leur travail pour nourrir sainement leurs semblables. Impossible de nier que quelque chose s’est emballé et s’est brisé sur les dernières décennies. D’ici 2030, plus de la moitié des agriculteurs vont prendre leurs retraites. Que vont devenir ces fermes, leurs terres ? Vers quelle agriculture voulons-nous aller ? Ce livre est une enquête autant qu’une quête : une enquête sur l’accès à la terre et le renouvellement des générations agricoles ; et une quête de nouvelles solutions qui permettent de produire localement la nourriture saine dont nous avons besoin, dans le strict respect des hommes, des animaux et de notre environnement. Nous devons reprendre le contrôle !
4 commentaires
Dans la même veine à lire Konig et sa ballade, bien à toi
serge
Un beau témoignage émouvant Régis. Retraçant la vie de tes Chers Grands Parents. Une vie de labeur, en communion avec la nature et les animaux. Un bel exemple de courage et d’humilité.
Exactement ! Je pense que le monde paysan vibre encore de ces valeurs mais il se trouve embarqué dans une mauvaise voie. Il est temps de reprendre le contrôle et de revenir aux fondamentaux.