Depuis plus d’un demi-siècle il y a sur les algues vertes en Bretagne un espèce de loi du silence. Comme une omerta sur un problème de taille qui empoisonne les hommes, les animaux mais également et profondément l’image de cette terre Bretonne. C’est à travers la réalisation de cette bande dessinée dite « d’enquête » publiée aux éditions La revue dessinée et intitulée « Algues vertes l’histoire interdite » qu’Inès LERAUD et Pierre VAN HOVE embarquent le lecteur curieux dans la compréhension de ce véritable scandale écologique et sanitaire sous couvert d’intérêts économiques. Un album choc qui éclaire une situation qui dure depuis bien trop longtemps …
Qui est Inès LERAUD ?
Née en 1981 à Saumur, Inès LERAUD est une journaliste enquêtrice. Ses thèmes de prédilections tournent souvent autour de la santé publique, l’environnement ou l’industrie agroalimentaire. Elle pratique un journalisme d’investigation engagé. La maladie de sa mère par empoissonnement au plomb dentaire sont pour beaucoup dans son engagement. Elle fait ses premières armes sur le thème de l’amiante et son scandale sanitaire et industriel.
En 2015 elle s’installe en Bretagne. C’est dans cette région qu’elle considère comme être au centre d’une mondialisation exacerbée basée sur une agro-industrie développée à son paroxysme qu’elle s’intéresse aux sujets de santé publique intervenant en région Bretagne. De part sa présence sur place, cette dernière aide sensiblement à libérer la parole et à rassembler ainsi la nécessaire matière à un journalisme d’investigation de grande qualité. Elle fait face à plusieurs accusations et pressions mais qu’importe. Seule compte pour elle la vérité du travail journalistique bien fait !

Et Pierre VAN HOVE ?
Pierre VAN HOVE est né à Angoulême en 1970. Il exerce le métier d’illustrateur et de graphiste depuis 2002. C’est avant tout un autodidacte. Il se consacre depuis quelques années à l’illustration de presse. Mais ce dernier s’oriente régulièrement dans des collaborations sur le terrain de la bande dessinée. Citons par exemple le voleur de livres en 2015 chez Futuropolis et l’album dont nous parlons dans ce billet.

Revenons sur le problème …
Depuis 1971, de nombreux secteurs de la région Bretagne et de la Normandie se retrouvent confrontés à une prolifération d’algues vertes. Le phénomène n’a de cesse de se développer années après années. La prolifération régulière semble même être hors de contrôle en particulier en plein été.

Leur prolifération pose un grave problème environnemental. Ces algues peuvent provoquer très rapidement une asphyxie de la faune et de la flore aquatique. Elle constitue également une lourde menace pour la santé publique : la décomposition de ces algues émet des gaz toxiques à des concentrations pouvant être mortelles pour l’être humain en quelques minutes d’inhalation seulement …
En pourrissant sur le sable, ces algues dégagent du sulfure d’hydrogène. C’est un gaz qui, à concentration élevée provoque la mort !
Des victimes qui se multiplient …
En 2008, c’est une riveraine des Côtes-d’Armor qui va voir ses deux chiens mourir sur une plage recouverte d’algues vertes. En 2009, Thierry MORFOISSE, un employé communale succombe d’une crise cardiaque au pied de son camion de ramassage de ces algues en pleine prolifération. Il avait seulement 48 ans. Cette même année, sur une autre plage du département, c’est un cheval qui s’écroule dans des algues. Il décède presque instantanément. Le cavalier lui, va rester plusieurs jours dans le coma. En 2011, un groupe de sangliers est retrouvé mort sur une grève. En 2016, c’est un jogger qui s’effondre et décède dans l’estuaire du Gouessant …
Mais d’où proviennent ces algues vertes ?
Cette prolifération trouve sa source dans les pratiques de l’élevage industriel Breton. Encouragé depuis l’après guerre, ces modes de production n’ont eux de cesse de ce développer sur le territoire. Encouragés par les financements provenant de la politique agricole commune (PAC), les élevages sont maintenant de moins en moins nombreux, mais toujours plus grand, toujours plus dense. Les fermes usines y sont nombreuses. La Bretagne est devenu la première région de France pour la production de porcs, de volailles, d’œuf, de lait, …
Ce palmarès génère des quantités importantes de déjection animale. Bien trop pour les cours d’eaux. Ces nitrates finissent dans le sol, dans les cours d’eau … Du coup, les eaux bretonnes se situent parmi les plus chargées en azote d’Europe. Les concentrations de nitrates par litre sont près de 10 fois supérieures à la normale. Ces nitrates font proliférer ces algues dans l’ensemble des eaux bretonnes et en particulier sur le littoral qui se trouve être l’exutoire des eaux.
Mais comment en est on arrivé là ?
C’est bien le but de l’enquête menée par Inès LERAUD et illustrée par Pierre VAN HOVE. On découvre bien vite dans cet album » Algues Vertes l’histoire interdite » que les faits provoqués par ces marées vertes sont bien vite embarrassant pour les autorités publics. Il faudra attendre de longues années (et des victimes) pour qu’enfin le risque sanitaire soit reconnu. Mais pourquoi une telle inertie ?

Et bien parce que cette pollution à pour cause majeure l’agrobusiness. Il ne va pas sans dire que la filière agricole est particulièrement puissante. Et dans l’Ouest de la France, cette filière est particulièrement puissante et structurée. Ceci est bien illustré dans « Algues Vertes ». Le lecteur découvre qu’en fait, c’est une petite poignée de personnes bien influentes qui tiennent l’ensemble de cette économie. Ce sont souvent les mêmes qui détiennent les producteurs de semences, ceux qui fabriquent les engrais, construisent les bâtiments agricoles et transforment ensuite les produits agricoles …
Les agriculteurs se retrouvent ainsi complétement emprisonnés dans une système complétement fermé. Même les prix de vente sont imposés par les mêmes qui dirigent ce modèle agricole ultra productiviste. Les syndicats agricoles assurent également le service après vente d’un système complétement verrouillé. Celui ou celles qui veut tenter de s’extraire d’un tel système qui détruit l’environnement et broie les humains se retrouve très vite en marge voir même très souvent menacé …

Autant vous dire qu’Inès LERAUD a été également menacée et victime de nombreuses pressions de la part de certain qui n’ont absolument pas intérêt à ce que les choses bougent. Tout ceci est tout bonnement inacceptable ! Je témoigne ici de mon profond soutien à Ines LERAUD et Pierre VAN HOVE pour ce travail d’investigation visant à faire toute la clarté nécessaire pour le citoyen. Un collectif de soutien a été constitué.
Quid des politiques ?
Les politiques locaux, en particulier la région Bretagne semble être également complétement phagocytée par ces grands barons locaux qui dirigent cette industrie ultra polluante. Les aides publiques au monde agricole que la région proposent sont également et majoritairement fléchés vers cette filière qui tente de se verdir et d’améliorer son image en produisant toujours et toujours plus !
L’enquête réalisée démontre comment avec quelques subterfuges il est possible de capter des financements publics fléchés vers un changement de modèle pour produire encore plus. Certains élus pourtant des militants écologistes finissent par avaler leurs chapeaux et se compromettre également en cautionnant ainsi un système bien néfaste pour la communauté. Les liens sont donc étroits entre les politiques locaux et ces industriels si peux scrupuleux. Coincé entre les intérêts du tourisme et ceux de cette agro-industrie la puissance publique se résigne donc finalement à financer l’enlèvement de ces algues vertes. L’objectif étant d’arrondir les angles préservant ainsi, à coup de millions d’euros l’image d’un si beau territoire malmené et souillé par les effets de son agriculture …
Espérance …
Tout ceci semble convenir à de nombreuses personnes et devenir une normalité que tout individu censé ne peut absolument pas accepter. Un autre modèle est possible mais encore faut-il que des individus localement puissent émerger et porter des véritables alternatives ?
Eveiller les consciences, c’est principalement le but de l’excellent travail réalisé avec courage par Inès LERAUD et Pierre VAN HOVE. Puisse la lecture d’un tel album changer les habitudes, les modèles, dans un pays qui profite majoritairement de la Politique Agricole Commune pour financer presque exclusivement une agriculture qui détruit l’environnement, abaisse la qualité des produits agricoles et détruit les agriculteurs depuis bien des années … » Algues vertes l’histoire interdite » doit aider à une prise de conscience collective urgente et nécessaire. Cet album dérange. Preuve en est !
La Bretagne oui … et ailleurs ?
Cette région Bretagne que j’affectionne particulièrement n’est absolument pas la seule concernée. Le modèle agricole hyper productiviste est largement développé dans notre pays. Dans notre région, la Bourgogne Franche-Comté, j’observe avec attention ce qui se passe localement.
Depuis quelque années mon pays pourtant renommé pour ses eaux vives et la grande qualité de ses rivières est la victime d’étranges phénomènes. La Loue, par exemple, une très belle rivière à truite se meurt progressivement. Il y a encore quelques années, des touristes du monde entier venaient à Ornans pour pratiquer la pêche à la mouche.
Focus sur la Loue …
Aujourd’hui, cette rivière (d’autres également dans ma région) est victime de diverses pollutions. Les populations de truites, d’ombres succombent et se font rare. La rivière semble avoir perdu ses poissons. Le fond de l’eau se tapisse progressivement d’algues, comme si nature s’étouffait petit à petit …

Cela fait pourtant plusieurs décennies que les défenseurs de l’environnement tirent localement la sonnette d’alarme sur la dégradation lente de la qualité de nos cours d’eaux. Tout ceci est maintenant bien visible, même pour le non-spécialiste. Les sentinelles de SOS Rivières Comtoises veillent et témoignent inlassablement … pour également éveiller les consciences.
Comme en Bretagne, ce phénomène est essentiellement la conséquence de l’agriculture et du traitement des eaux usées. Ici aussi localement les nitrates et les phosphates semblent être les causes de ce carnage. Même si en Franc Comtois, j’adore le fromage, il faut bien admettre que la production de fromage y est pour beaucoup. Le Comté est-il le coupable ? Plusieurs médias en parlent récemment … Il n’y a pas de fumé sans feu. Cela à la mérite d’ouvrir le débat et la discussion.
Et pour la suite ?
Il faudra urgemment trouver dans ma région l’équilibre nécessaire entre préservation des activités économiques et préservation de l’environnement. Tout est encore possible et d’autres en France semblent déjà avoir perdu ce combat, comme dans le Cantal …un territoire qui comme la Bretagne doit vraiment nous inspirer au présent … pour changer l’avenir ! Algues Vertes l’Histoire Interdite est à lire !
7 commentaires
Merci Régis pour ce très documenté article. Il est important de veiller à ce que ce modèle agricole ne se développe pas davantage en Franche Comté dont les rivières commencent à être polluées. SOS Rivières Comtoises y veille et nous alerte régulièrement des constats et des actions menées.
Bonjour et merci Sophie de ton passage ici et de ce commentaire. Au delà de tout ceci les enjeux à venir sont pour moi de trouver le nécessaire équilibre entre activités économiques et préservation de l’environnement. Le modèle coopératif est plutôt sain. Prenons soin à éviter les dérives mortifères de la course à toujours plus de profit. A l’échelle de la filière je pense qu’il faut renforcer le cahier des charges en intégrant des critères environnementaux stricts discutés avec l’ensemble des acteurs. L’objectif est un véritable plan de progrès coconstruit partagé et appliqué ! C’est du bon sens. Cela ne fera que préserver l’image d’un produit de qualité chez les consommateurs. Un fromage de terroir respectueux de l’environnement, de son environnement ! J’ose espérer voir prochainement un Haut-Doubs couvert de belles prairies fleuries. Celles qui favorisent la biodiversité, celles qui régalent autant nos yeux que nos papilles ! A bientôt. Excellent dimanche.