Force est de constater que le projet écologique est aujourd’hui majoritairement porté par la classe moyenne blanche des centres-villes. Comment ne pas faire un lien évident avec le délaissement de nombreux mouvements et partis politiques pour les populations populaires qu’elles vivent dans nos campagnes ou dans les quartiers. Un des enjeux à court et moyen terme n’est-il pas de provoquer le rassemblement nécessaire du plus grand nombre ? C’est sûrement en bougeant largement la société que la classe politique suivra et s’adaptera. Mais comment persuader largement, en entrainant cette « masse » populaire ? Comment construire la convergence des luttes sociales et écologiques ? C’est exactement ce à quoi tente de nous faire réfléchir Fatima OUASSAK à travers son essai « Pour une écologie pirate ».
Constatations …
Aujourd’hui ce sont les populations souvent les plus fragiles qui sont les premières victimes du dérèglement climatique et des effets de destruction de la planète. Ceci est encore plus criant pour les classes populaires qui vivent dans les quartiers populaires. En effet, ces quartiers concentrent les populations les plus fragiles qui vivent dans des territoires souvent les plus pollués. Ceci accentue encore plus les inégalités dans des secteurs où ces populations sont exposées au bruit, à la chaleur, où l’alimentation est la plus souvent industrielle et où l’accès aux soins est rendu difficile.
L’on parle bien trop peu de ces populations fragiles, de ces classes populaires qui n’ont souvent pas le droit au chapitre, condamnée in fine à ne pas peser dans le débat public. Voulons nous sauver toute l’humanité ou seulement tenter de sauver sa partie blanche et fortunée ?
L’élargissement comme une partie de la solution …
Nous ne réussirons par la nécessaire transition si nous n’arrivons pas à agréger le plus grand nombre au projet écologique. La thématique écologique reste encore bien trop cantonnée aux classes moyennes et supérieures. Comment faire pour que le projet écologique puisse réellement devenir populaire en incluant le plus grand nombre et en suscitant une adhésion de masse ? Comment arriver à identifier d’autres perspectives, rassembleuses autour d’une nécessaire mutation de notre société dans sa globalité ? Comment faire bouger ce capitalisme néo-coloniale qui ravage la planète et les esprits ?
Un essai pour ouvrir de nouveaux horizons …
Ce sont des réponses à ces questions que tente de nous apporter Fatima OUASSAK à travers un essai intitulé « Pour une écologie pirate et nous serons libres » publié aux éditions Points.
Fatima OUASSAK nous propose de réfléchir à la manière d’élargir le front écologique avec une stratégie et par un réel projet de résistance. Mais avant d’en parler, revenons sur le parcours de l’autrice, Fatima qui est née au Maroc en 1976. Essayiste, conférencière et consultante en politique publique, c’est une femme engagée de longue date dans le militantisme écologiste, la cause féministe et antiraciste.
Fatima OUASSAK fondatrice de Front de Mères, un syndicat qui regroupe des parents dans les quartiers à travers un réseau chargé de donner une résonance nationale aux combats que mènent les collectifs de parents au niveau local. C’est à Bagnolet dans le 93, qu’elle fut ensuite à l’initiative de la création d’une maison de l’écologie populaire. En effet, Fatima OUASSAK s’engage avec Alternatiba, à la création du premier lieu consacré à l’écologie populaire, Verdragon, maison de l’écologie populaire.
Militante écologiste préoccupée par les enjeux liés à l’alimentation, aux risques industriels et à la pollution de l’air, elle mène, avec cette association dont elle est la présidente, une lutte pour obtenir une alternative végétarienne dans les cantines, qui conduit avec succès à sa mise en place dans la ville de Bagnolet. Comme quoi, en militant, il est possible de faire de belles avancées partout !
Dans cet ouvrage, elle s’interroge sur l’élargissement nécessaire d’un front social écologiste et invite à repenser la place des habitant.e.s des quartiers populaires dans ces luttes. Elle propose de remettre au centre du jeu politique des modes de domination peu interrogés, ou invisibilisés, dans le champ écologiste.
Quand les mouvements majoritaires prônent une écologie « de masse et citoyenne », « universelle et inclusive », l’autrice interroge les rapports de pouvoir entre races, entre État français et descendants de l’immigration postcoloniale.
Un parti pris qui interroge obligatoirement quand la réflexion conduit à établir un lien évident entre social et environnement ou l’émancipation dans les quartiers populaires est de plus en plus sous contrôle policier et répressif.
Rappelez vous du trait d’union qu’avait conduit la mort d’Adama TRAORE avec l’écologie et les quartiers populaires à l’unisson d’une lutte écologique et antiraciste. Le slogan était simplement : « On veut respirer ! ». L’écologie doit être un outil de libération et d’émancipation pour le plus grand nombre.
« Pouvoir tous respirer un air pur, boire une eau saine, circuler librement, avoir accès à une bonne alimentation, à un logement digne, à des espaces verts. Ce ne devrait pas être un luxe, mais une norme. » Teïssir Ghrab, militante d’Alternatiba.
Mais une nouvelle génération responsable et humaniste émerge avec ses codes dans une sorte de projet écologique de résistance (pirate comme le qualifie Fatima OUASSAK). Cette « nouvelle garde » n’a de souhait que de pouvoir théoriser l’identification en mettant systématiquement au centre des actions, des gens (simples) comme nous portés par le bon sens, celui de bien faire, de respecter et de protéger l’environnement comme un réel moyen d’émancipation, comme une nécessaire libération !
Impossible de ne pas mentionner ici le travail et les actions portées par Féris BARKAT et son collectif « Banlieue Climat ».
« Nous sommes pas libre et le monde n’arrêtera pas de brûler tant que nous ne nous libérerons pas »
L’objectif étant également de briser pour ces personnes engagées les (trop) nombreux stéréotypes négatifs qui qualifient la banlieue. Ici, comme ailleurs il y a une envie de bien faire et simplement de vivre dans un monde respirable, respectueux des toustes et de l’environnement.
Et pour conclure …
Les décideurs politiques « de gauche » gagneraient à s’intéresser à cette « nouvelle donne » qui émerge ici et là dans les quartiers et surtout à soutenir sans concession toutes ces actions émancipatrices d’écologie populaire ! Dans ces quartiers, ici plus qu’ailleurs, il y a des besoins de soutien !
Espérons également qu’une véritable convergence territoriale puisse s’organiser pour lier habitant.e.s des villes et celleux des villages. Peu importe le lieu, les problématiques sont les mêmes et c’est en luttant ensemble que l’on pourra véritablement changer les choses et il serait incompréhensible que les progressistes n’entendent pas ce souffle qui se lève.