Lecture

Fermentations …

 Ce que le moisi dit de nous  est une enquête philosophique d’Anne-Sophie MOREAU publiée chez Seuil évoquant notre fascination contemporaine pour les micro-organismes. Dans Fermentations, la philosophe et essayiste Anne-Sophie MOREAU interroge un véritable phénomène culturel, social et politique en pleine expansion : la montée en puissance de la fermentation dans nos modes de vie.

Aliments lactofermentés, compost domestique, cosmétiques au microbiote, matériaux à base de champignons… Derrière ces pratiques en apparence anodines et de plus en plus répandues, c’est un changement profond de rapport au vivant qui se dessine. Un glissement de paradigme que l’autrice éclaire avec finesse, en mêlant philosophie, écologie, sociologie et esthétique. Un livre assez étonnant je dirai !

Un engouement contemporain pour le “vivant invisible” …

Anne-Sophie MOREAU part d’un constat simple : jamais les ferments, moisissures, levures et bactéries n’ont été aussi populaires. Le kéfir, le kombucha ou le kimchi peuplent déjà nos cuisines, les composteurs fleurissent sur les balcons, les designers s’essaient aux biomatériaux, les start-ups vantent les vertus du microbiote. Ce regain d’intérêt pour les micro-organismes — longtemps associés à la saleté ou à la maladie — s’inscrit dans un mouvement culturel plus vaste, celui du retour au vivant, de la lenteur, du soin et du collectif. Plutôt sympa non ?

Couverture du livre « Fermentations » d’Anne-Sophie MOREAU chez SEUIL.

Mais pour l’autrice de l’ouvrage, cet engouement n’est pas seulement un phénomène de mode. Il révèle un basculement anthropologique : à l’ère de la crise écologique, nous ne voulons plus maîtriser la nature, nous voulons cohabiter avec elle, et même l’inviter en nous, dans nos corps et nos gestes. Fermenter, c’est accueillir l’altérité, accepter de perdre le contrôle, de se laisser transformer par le vivant …

Une éthique du pourri : penser la transformation comme vertu …

L’autrice s’attache à déconstruire notre rejet historique du pourrissement, lié à une culture de la propreté, du contrôle et de la permanence. La nocivité de tous ces produits ménagers qui nous promettaient de détruire les bactéries et nous humain.e.s par là même est maintenant ancrée dans nos esprits et nos habitudes. Oublions les !

À rebours de cette logique, la fermentation apparaît comme un art de la dégradation régénératrice. Ce n’est pas la mort, mais une forme de vie en transformation, un cycle où la décomposition nourrit une recomposition. Surprenant non ? Pas tant que cela …

Elle y voit les prémices d’une éthique nouvelle, qu’elle qualifie d’“éthique du pourri” : une manière d’habiter le monde sans chercher à le purifier, à le figer ou à le dominer. Le ferment devient le symbole d’une politique du vivant, plus souple, plus lente, plus horizontale ! Une ode à la cohabitation.

Et si fermenter, c’était résister ?

Anne-Sophie MOREAU ne se contente pas d’une lecture écologique ou alimentaire du phénomène. Elle propose une lecture politique de la fermentation, qu’elle relie à bien des mouvements de résistance contemporaine.

Portrait d’Anne-Sophie MOREAU.

La fermentation se pratique souvent de manière communautaire, en dehors des circuits industriels et c’est tant mieux. Elle implique le don, le troc, l’échange de souches, la transmission de savoirs populaires. Elle crée du lien social, invite à des formes d’auto-organisation, et s’oppose, de façon douce mais déterminée, à l’idéologie d’une croissance infinie (qui n’est pas atteignable et encore moins soutenable). Rappelez vous les potes qui vous donnent volontiers quelques grains de kéfir ? Sympa comme expérience de partage non ?

L’autrice y voit une politique de l’humus : une société qui se penserait non pas comme une pyramide, mais comme un compost, un écosystème complexe, hybride, transformable. Fermenter, dans ce sens, c’est refuser la verticalité, les hiérarchies rigides, pour leur préférer la symbiose, l’interdépendance, la pluralité des formes de vie …

Un imaginaire ambivalent : le ferment entre utopie et stagnation :

Toutefois, Anne-Sophie MOREAU ne tombe pas dans l’angélisme. Elle souligne les limites d’un imaginaire trop séduit par la fluidité, l’horizontalité, le mélange. À force de célébrer la fermentation comme symbole de transformation douce, on risque, selon elle, de glisser vers une forme d’utopie molle, sans conflit ni rupture.

Le ferment peut alors devenir une métaphore de la stagnation, une “moisissure politique” incapable de produire de véritables alternatives structurées. Bref, il n’est pas du tout question d’oublier notre touche de radicalité (maîtrisée) qui ne peut que nous aider à mieux être pris au sérieux par les classes dominantes. Notre mission est bien à notre échelle de tenter d’essayer de changer (un peu) le monde alors donnons nous les moyens de pouvoir tenter de le faire.

Elle appelle donc à une vigilance critique : l’éloge de la fermentation doit s’accompagner d’un questionnement sur les rapports de pouvoir, les conflits, les formes d’organisation durables. Le ferment n’est pas toujours libérateur : il peut aussi être récupéré, instrumentalisé et … neutralisé. Prudence alors ! Mais nous ne sommes dupes de rien surtout si nous connaissons l’issue.

Une enquête sensorielle, philosophique et littéraire …

Ce qui distingue cet ouvrage Fermentations, c’est la richesse de son approche. Anne-Sophie MOREAU ne livre pas un manuel ni un manifeste, mais une enquête philosophique sensible et plurielle. Elle mobilise des références classiques (Aristote, Lévi-Strauss, Deleuze), mais aussi la culture populaire (Star Wars, Hayao Miyazaki, design culinaire), dans une langue limpide, poétique, accessible. Cela en fait donc à mon avis un ouvrage plutôt accessible à toustes je trouve personnellement.

Aliments lactofermentés.

En conclusion : une invitation à fermenter le monde !

Fermentations est un essai profond, stimulant, à la fois politique, poétique et existentiel. Il propose de penser le monde non plus à partir du mythe de la pureté ou de la conquête, mais à partir du mélange, de la lenteur, de la décomposition et de la transmission.

Anne-Sophie MOREAU nous invite à accueillir le pourri, non comme menace, mais comme promesse : celle d’une transformation continue, d’un monde qui ne croît plus (si si), mais qui se transforme, se lie et se régénère. À condition de rester vigilants : toute fermentation demande un soin, une attention, une mémoire des équilibres fragiles.

regisgaiffe

Acteur du #Changement ! #Conscientisateur #Empowerment 📢 #Ingenieur 💡 #Photographe 📸 #Blogger ✏️ #Traveler and #Citizenoftheworld 🌍. Ce blog est un espace d'expression personnel voir privatif dans certains cas. Marnay / Franche-Comté / France

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